dimanche 30 octobre 2011

Autre Parc-aux-cerfs : "L'apollonide : souvenirs de la maison close" de Bertrand Bonello

Synopsis : "À l'aube du XXème siècle, dans une maison close à Paris, une prostituée a le visage marqué d'une cicatrice qui lui dessine un sourire tragique. Autour de la femme qui rit, la vie des autres filles s’organise, leurs rivalités, leurs craintes, leurs joies, leurs douleurs... Du monde extérieur, on ne sait rien. La maison est close."

Le sujet devient-t-il prolifique en ce moment ? 2010/2011 : édition française de la bande dessinée "Casino", diffusion de la série française "Maison close", parution du film "L'Apollonide"dans les mêmes tons (ambiance, figures, personnages, écho d'histoire)...
Les maisons closes suscitant de nombreux fantasmes érotiques, le risque du sujet était de les stimuler plus ou moins inconsciemment, puisque maison close de luxe il s'agissait, ou bien de sombrer dans l'apitoiement. Cette deuxième option fut celle choisie (inconsciemment ?) pour le film pauvrement interprété et platement filmé, laissant peser une lourde, très lourde chape d'ennui. Des critiques ont qualifié ce film de malsain et glauque. S'il l'eut au moins été, il y aurait eu matière à débattre. Aucune subtilité, aucune empathie avec les personnages, des flashbacks et des symbolismes qui alourdissent conséquemment le film ; le tout est abordé en surface. Un extrait amusant et parlant de critique sur Allociné, de Erik666 : "Long, lent, caricatural. Le même type de fraternité que dans les films de guerre. Il faut sauver la catin Ryan."
Pourquoi en parler, alors ? Il me semble que la critique négative reste pertinente pour nous maintenir en alerte sur les facilités qui nous entourent, affûter son esprit et accroître les références qui seront socle pour mieux développer un jugement pertinent, capable de ne pas sombrer dans le piège de la facilité, des clichés et des a priori.

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Petite digression par une question qui pourrait alors en découler : les nanars sont-ils donc nécessaires pour s'élever ? Je songe alors au film de Edward Davis Wood "Plan 9 from outer Space", reconnu comme l'un des plus mauvais films ayant jamais réalisés, devenu culte et référence cinématographique.

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Les commentaires sur AlloCiné m'ont interpellée : certains se détournent d'un tel sujet sous prétexte que la violence, la misère, la dette, l'esclavagisme, la dépression en sont le tribut. Ne doit-on ne pas se confronter plutôt à ces aspects-là, au lieu de perdurer dans le mythe ? Le "glauquissime" serait-il inconvenant ? Prendre conscience aussi ?
Ce film pose à nouveau question sur la façon d'aborder cette thématique. Le débat demeure vaste, mais l'intérêt d'en faire un film, en-dehors de l'approche purement historique, serait de parvenir à saisir ce qui poussait certains hommes à devenir réguliers de ces endroits, sans bien sûr se cantonner au cliché de la frustration et du fantasme, mais pour explorer une société dans ce qu'elle a de paradoxale, entre convenance et penchant - penchants loufoquement abordés dans la bande dessinée évoquée dans le post ci-dessous, qui soulève certaines questions sur l'aspect finalement courant de certaines pratiques. Suivre certains mal-être au lieu de les stigmatiser, et ne pas se cantonner en lieu-clos sous prétexte de ressentir, puis-je supposer, ce que ressent la prostituée, car en l'occurrence, même si cet aspect-là demeure particulièrement intéressant, le film n'en possède pas la subtilité d'approche et de finesse. Et puis... ces femmes, qui n'avaient pas accès aux maisons closes mais n'en demeuraient pas moins désireuses ? Outre le luxe mondain d'un ennui bourgeois, ne peut-on évoquer le désir de la femme dans ce cas-là ? 
Maison close... Fascination pour le luxe étalé dans certaines ? La sensualité lourde des corps, la mise à disposition du fantasme, l'illusion du consentement facile, l'acceptation de soi dans son désir unique, j'entends par là individuel... Quelles pratiques émergeraient aujourd'hui si réouverture il y avait, hommes comme femmes, dans le respect de la législation du travail ? Quelle relation à l'autre et quelle relation à l'érotisme ? Si le désir est présent, doit-on le combattre comme anormalité ? Vendre son corps est-il plus humiliant que se vendre pour telle ou telle société et cautionner telle type de mentalité et de rapport à l'être humain, au point de le déshumaniser ? Offrir son corps contre de l'argent est-il une simple déshumanisation ? S'offrir alors en show, dévêtu(e), ne relève-t-il pas du même consensus ? Bien sûr, le développement est beaucoup plus vaste que cela, j'en conviens tout à fait, puisqu'il y a regard du client sur l'acteur qui est aussi l'objet à consommer, sans différenciation entre l'intermédiaire qui offre le service et le service lui-même. 
C'est le rapport au corps qui m'interpelle, et soulève en moi une question tout à fait différente et sans premier lien, à savoir ce culte de la virginité chez la femme, où la première fois doit être consacrée tel un acte religieux, posant question sur l'épanouissement de la sexualité, qui prend pourtant tout son sens et acquiert tout son potentiel de plaisir en la pratiquant... Effacer la sacralisation de la virginité afin d'offrir un autre champ de possible en terme d'épanouissement, tout en mesure conscience des risques, mais ne pas se limiter à une notion de restriction et de perte...

mardi 11 octobre 2011

"Casino" de Leone Frollo (éd. Delcourt , coll.Erotix), 1

Voilà que la lecture de cette bande dessinée m'amène à rechercher la définition de la pornographie, puisque la série me semble d'un premier abord plus proche de ce genre que de celui d'un érotisme travaillé. Or, voici qu'un problème se présente :

-> Définition de la pornographie selon :

Larousse : Présence de détails obscènes dans certaines œuvres littéraires ou artistiques ; publication, spectacle, photo, etc., obscènes. 

Tlfi (Le Trésor de la Langue Française informatisé): Représentation (sous forme d'écrits, de dessins, de peintures, de photos, de spectacles, etc.) de choses obscènes, sans préoccupation artistique et avec l'intention délibérée de provoquer l'excitation sexuelle du public auquel elles sont destinées. 
 

Résumé de quatrième de couverture :

"Chez madame Georgette, tenancière d'un bordel Belle Époque, tapinent les plus belles filles de Paris.
"Dans la maison close" un ministre italien tente de passer une soirée incognito. Dans "Le Train bleu" deux vraies-fausses prostituées sont envoyées en mission très spéciale. Dans " La Dernière Vierge de Paris " un client fortuné recherche une âme pure dans un corps immaculé. Et si tout le monde était satisfait ? Casino est la série culte de l'immense Leone Frollo, surnommé le lion de Venise, l'égal de Manara et Crepax.
On lui doit de magnifiques dessins qui célèbrent les prostituées, les femmes fatales et les pin up. C'est la première fois que Casino paraît en France non censuré, en respectant le principe du format d'origine."

A noter que l'éditeur a mélangé les titres du deuxième et du troisième récit, ce qui est fort regrettable pour un travail de réédition soucieux d'une version fidèle et d'une reconnaissance de l'auteur.
L'ensemble est en tout cas fort ravissant, comme une douceur polissonne aux ébats certes parfois scabreux mais très fair-play. Bordel de luxe oblige ? C'est oublier la misère et la détresse cachées, le foutre et les regards injurieux qui pourraient échapper, la maladie et le corps exploité. Or, il n'est volontairement pas question de ces aspects-là, puisque chaque histoire se peint sur fond humoristique voire franchement burlesque, et pourtant semblant toucher un possible en chacun, ne délaissant pas les tabous par exemple scatophiles (la jeune fille pétomane à chaque coup de rein) ou les penchants décalés, où la honte du ridicule pourrait tuer toute désinhibition, joyeusement et lucrativement acceptée chez "One Two Two". Les filles y sont jolies selon les goûts de la mode et physiquement stéréotypés à la manière de Manara, ce qui donne un côté insipide à la soi-disant beauté des corps. Est-on alors dans la pornographie qui standardise selon les genres ? Pourtant, l'ensemble des acteurs dans ce milieu, d'autant plus lorsqu'il est issu de l'underground, peut paraître plutôt disparate avec des physiques allant de l'anodin au monstrueux, ceci étant favorisé par le fait que tout à chacun peut y contribuer en tant qu'amateur. Donc fausse polémique des standardisations ?
L'illustration - maîtrisée et classique - est chez Leone Frollo centrée sur les corps mis en scène mais ne reste pas centrée sur les organes génitaux, ce qui lui aurait sinon conféré, je pense, le statut pur et dur de "bande dessinée pornographique". Ainsi s'offre une touche de perversité amenée par de petites mises en scène. Mais il ne s'agit pas ici de s'attarder sur une quelconque crédibilité de caractère ou d'état d'âme, seulement sur des interrogations d'ordre pratique (la taille de ce monsieur monstrueusement nanti et la manière de pourvoir à son désir). Sympathique et réducteur, le fantasme est assumé et s'entretient à la variété des spécialités des prostitué(e)s et des désirs des clients - semble-t-il plus poussés dans le deuxième tome.
A développer : le fantasme de la maison close. Le désir d'être putain de luxe, le besoin de l'apparence, du regard, du désir purement sexuel, de l'attirance et des règles de jeu à maîtriser ; il faudrait mettre en scène plus de situations d'actes sexuels de l'avant à l'après dans tous ses aspects positifs et négatifs. Hommes et femmes, sommes-nous enclins naturellement à la soumission et au désir de domination destructrices ? Est-une tendance naturelle que notre esprit nous apprend à maîtriser voire à dépasser ? Et ce doux besoin de voyeurisme, masturbation de notre cerveau sexuel, plaisir de s'offrir par l'illustration et le texte à tous sans être ? Le désir et le plaisir sont-ils une aspiration à sur-être ?


samedi 1 octobre 2011

"Le professeur" de Christian Prigent, 1

Nouveau plongeon dans "Le Professeur" de Christian Prigent (éd. Al Dante)...

Résumé du site Decitre :
"Le Professeur se compose en 28 chapitres qui sont autant de saynètes pornographiques qui ponctuent une relation amoureuse. Un vingt-neuvième chapitre, intitulé Fin, clôt ce récit. Chaque chapitre est composé d’une seule phrase, longue (plusieurs pages), écrite selon un rythme lancinant, parfois heurté, syncopé. Il y a ici une confrontation violente entre le travail formel, « abstrait » de la langue, et le sujet, pornographique, où le corps et ses élans sont présents dans toute leur crudité. Ce livre se situe dans une droite lignée bataillienne, il en est même un hommage, où la notion de « pure perte », chère à Georges Bataille, est ici remplacée par Christian Prigent en « part putain ».
L’histoire : un professeur initie une élève à l’amour, selon les codes de la possession. Effectivement, leur relation relève du domaine du sadomasochisme : lui dans le rôle du maître, elle dans celui du sujet docile. Lui édicte les règles, elle obéit et « fait au mieux » : elle accepte toutes les règles du jeu, acceptant pour cela toutes les aventures, même les plus inédites et les plus risquées. Quant à lui, il va jusqu’au bout de son imagination, au bout de son désir…au bout du possible, jusqu’au pire de sa désespérance.
Car dans cette histoire, plus que d’aller au bout de ses fantasmes, le but est bien plus d’oser aller jusqu’au bout de ses peurs, de ses angoisses existentielles, pour tenter de s’en libérer, et la dimension tragique de ce livre est bien, justement, dans la conscience nue de l’impossibilité de cette quête. Derrière ce récit pornographique, se révèle une véritable parabole sur la conscience d’être mortel, au sens philosophique du terme." 


Le rythme de la langue exerce sur moi une véritable fascination vécue par l'esprit et le corps. Se mêlent une violence charnelle et une violence exercée sur la langue du texte, langue qui s'étire qui reprend qui va-et-vient en une rythmique sexuelle de martelage-pilonnage et de dépassement de l'acte par la "part putain" qui permet de ressentir un sens sans pour autant le saisir, le sens du vide et d'une tentative d'accès au plein par le vide. L'excès du désir et des actes suscite violence et plaisir, et la langue me semble se vouloir de même dans l'excès pour créer une excitation de l'esprit qui rebondit sur le corps et le rend tendu à percevoir la beauté/terreur de l'impossible, la beauté/jouissance du dépassement. Exercice de style ?  J'attends la lecture de la postface de l'auteur. Mais puis-je aussi y percevoir le désir primaire que la langue fouette et excite et active en le poussant dans ses retranchements et en exigeant de lui une tension permanente puisque le flux des mots est continu dans une certaine crudité amoureuse ? (question qui se glisse : mais qu'est-ce donc que l'amour ?)
Si j'en reviens à la présentation, le fait de remplacer la notion de "pure perte" de Georges Bataille par la "part putain" ne rend-elle pas le sujet actif et capable, au-delà de la prise de conscience déjà générée par la "pure perte", de ne pas se laisser dépasser par le corps/langue mais d'en devenir acteur ?
Et je relis "l'inconscience des limites du monde"... La conscience de l'inconscience, et voilà la force de vie tirée par la langue pour ne pas se laisser rattraper par la triste réalité du possible sans imagination de l'impossible vers lequel tendre ?
La part putain permettrait de dépasser la possession qui nous rattache à la vision de l'Autre, elle assurerait à mon sens la capacité et la volonté d'excentrage de la part commune que la société nous pousse à cultiver en nous et pour tous ; la part putain devient la part créative et pourtant consciente de l'incapacité à être avec le monde mais en prise avec, en tension jouissive que la langue ici s'emploie à maintenir afin de ne pas se laisser aller au monde...
Cependant, le risque de l'excès serait peut-être aussi d'être dépassé par ledit excès et de subir la part de violence abrutissante en nous. Explorer l'excès sans s'y complaire... Penser l'excès pour faire un peu d'or avec de la boue ? L'excès serait-il la voie risquée vers la sagesse folle ?

Extraits :

"ce qui me fait bander fait du vide en moi"
"ta fente est le vide qui fait du vide en moi"
"j'aime le vide que fait en moi le vide de ton con"
"tu es le vide qui écrase en moi toute la vie que va alentours de nous"
"le professeur sait que trembler donne leur prix aux choses"
"tu n'es pas seulement belle tu es la fureur de la beauté tu es l'abjection de la beauté tu es l'intouchable de la beauté"
"il regarde la puissance des mots épuiser la chair"
"ce qui le fait bander est la puissance abjecte du possible surgi dans l'impossible"
"le réel est muet le réel est flou le réel est mou le réel ne fait pas bander ce qui fait bander est le réel articulé nommé prononcé par la romance du roman"
"la peur carrosse un trou de réalité"
"la menace du monde glace le professeur le possible immine l'imminence menace le trait d'impossible tracé nu ouvert dans la nuit aveugle le possible fige le goût d'impossible"
"le professeur dit ce qui me fait bander c'est qu'il n'y ait pas de langue pour la pensée outrepassée par la tension sexuée pas de langue ombiliquée à la non-pensée"
"le truc de cuir enfoncé en moi me pompe la pensée qu'il n'y a que le trou ainsi voué à l'avidité à quoi je puisse penser que ma pensée est écrasée par l'envie d'être remplie"
"dis-moi pourquoi je jouis de peur et d'envie le professeur dit je ne sais pas tu sais que je ne sais pas tu sais que l'excès c'est que je ne sais pas tu sais que l'excès c'est que j'ai peur d'aimer en ça ce que je ne sais pas"
"l'excès c'est l'impensé qui me fait fait frapper et aimer frapper détester aimer frapper aimer détester frapper aimer te faire mal comme on fait du bien"
"comme si je buvais la jouissance à même l'avilissement comme si c'était gai de boire l'impossible parmi le possible comme si c'était bon de boire l'inconscience parmi les consciences"
"ce qui me fait bander c'est ce qui dans l'amour m'assure qu'en moi quelque chose n'est pas qu'en moi ce qui me fait bander c'est que quelque chose n'est pas dans le monde qu'en moi quelque chose n'appartient pas au monde ce qui me fait bander c'est ce qui m'excepte du monde me tire hors du monde ce qui me fait bander c'est l'inconscience des limites du monde"
"ce qui me fait bander c'est que cette perte cette fuite cet abandon cette éventualité affreuse soit l'emblème de l'impossibilité d'être entièrement au monde"
"ce qui me fait bander c'est qu'il y ait en elle que j'aime quelque chose qui me dépossède d'elle quelque chose qui fasse trou dans la possession"
"le professeur dit que maman est la figure du monde apathique l'inertie enclose la prise de la mort"
"le professeur dit quelque chose est au delà du sexe le professeur dit c'est comme une esquisse du drame de la vie comme une ombre estompée du tragique des vies et vivre n'est pas perfection étale immanence atone maternité imbecillité vie vécue sans vivre la vie par dehors le professeur dit le sexe n'est jamais que le lieu physique qui donne corps à ça le sexe est la scène de ce lamento forcément bouffon l'emblème de l'angoisse la langue de l'impasse le plancher en viande de l'action tragique et la part putain est la part en nous du métaphysique"
"ce qui se saisit dans la dessaisie de l'action du sexe c'est une macule d'âme un trou pas humain dans le lieu des corps peut-être surtout dans le lieu des pensées certainement dans le lieu des paroles rien ne s'y possède rien ne s'y fixe rien ne peut s'y penser en stabilité le professeur dit ce qui me fait bander c'est ce trou informe sans nom dans le pensées dans les paroles et dans les corps nommés"
"ce qui me fait bander c'est que par le trou fulgure un éclat dont l'onde me revient heureuse douloureuse comme vérité de vie violente"