lundi 26 décembre 2011

"Oh my god !" de Tanya Wexler

Résumé : "Dans l’Angleterre Victorienne, Mortimer Granville, jeune et séduisant médecin entre au service du Dr. Dalrymple, spécialiste de l’hystérie féminine. Le traitement préconisé est simple mais d’une redoutable efficacité : donner du plaisir pour soulager les troubles ! Le docteur Mortimer y met toute sa ferveur mais bientôt une vilaine crampe à la main l’empêche de pratiquer… Avec la complicité de son meilleur ami, un passionné de nouvelles technologies, il met au point un objet révolutionnaire : le premier vibromasseur…"

Divertissant... Qualificatif plutôt péjoratif en soi, mais qui permet au film de ne pas trop ennuyer par le côté joyeux volontairement choisi pour cette comédie : des attitudes anglaises délicieusement policées face à toute situation cocasse (l'acteur Rupert Everett en joue admirablement, suçotant de sa pointe d'accent british des répliques d'humour à froid avec un maintien d'aristocrate décadent et curieux). Histoire réelle à l'origine qui nous permet de découvrir l'invention du premier vibromasseur par Joseph Mortimer Granville, l'électrique venant au secours d'une solution médicale manuelle fort fatigante et contraignante. Mais il semblerait aussi, peu gratifiante puisque, apparemment, au XIXe siècle "les médecins trouvaient la tâche ardue, car il leur fallait de l'endurance pour tenir une heure. Ils demandaient souvent aux sages-femmes ou aux infirmières de prendre le relais." (d'après l'ouvrage non lu mais fort intéressant de Rachel P. Maines, Technologies de l'orgasme. Le vibromasseur, l'"hystérie" et la satisfaction sexuelle des femmes, Payot, 2009)
Or, ce dernier point n'est pas évoqué dans le film, et fait partie des multiples défauts qui jalonnent l'histoire. Si le film se veut centré sur l'aspect humoristique de l'invention, il s'inscrit dans un climat social d'époque qu'il caricature à outrance : médecine ancienne et moderne, mais surtout, les débuts des revendications et actions des militantes féministes, l'émancipation de l'actrice principale et les idées socialistes qui l'animent. L'ensemble est plus que conventionnel, dépeint à coups de traits grossiers et de discours simplifiés à l'extrême, mais sans tomber volontairement dans l'absurde, ce qui eût pu donner un ton plus assumé. Au contraire, le film en ressort avec une grande fragilité tant le fond est balayé par les caricatures, y compris pour chaque personnage du film, qui correspond à un type social et à un caractère défini.
Il est de plus consternant de voir que l'histoire d'amour est quasi-obligatoire au cinéma pour donner du mouvement à un film. Un aspect souvent convenu et ennuyeux, schématisant les rapports sociaux dont le seul but serait de trouver le partenaire idéal, de vivre l'amour (avec un grand A, de préférence) possible ou impossible, seule justification de leur existence et seul moyen d'accéder ou de tenter d'accéder au bonheur. Il me semble fort dommage d'en offrir inlassablement cette image, à savoir que l'amour ne pourrait être que la seule cause, ou bien la cause principale d'un tournant, d'une idée ou d'une orientation de vie.

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A titre d'exemple, le film "Vatel" de Roland Joffé, qui associe le suicide de ce pâtissier-traiteur français du XVIIe siècle à une histoire d'amour impossible avec une dame de la cour, choisissant une version romantique sans certes exclure la "conscience professionnelle".
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Autre interrogation sur le choix du titre français, "Oh my God !", alors que le titre d'origine est "Hysteria" - un des sujets principaux du film, abordé consciemment avec légéreté, contrairement à l'intéressant film de David Cronenberg, "A Dangerous Method", que j'aborderai prochainement.
En effet, cela laisse planer le doute sur les définitions, sachant que le vibromasseur n'a pas toujours la forme du phallus caractéristique du godemichet, mais en est un dérivatif, en tant qu'instrument d'origine médical "servant à pratiquer des massages, constitué de pièces de caoutchouc que fait vibrer un moteur électrique`` (Méd. Biol. t. 3 1972)

-> Dans un sourire, pour donner une idée des possibilités de l'époque... 

Par contre, je ne suis pas parvenue à trouver l'origine de cette expression pourtant fort usitée...
Fallait-il donc vraiment renforcer le côté ludique de ce film appartenant au genre des film-good movies (auquel, par exemple, appartient l'excellent "Quand Harry rencontre Sally") en changeant pour un titre qui se veut certainement plus amusant, mais un peu pauvre ? "Hysteria" permettait de surprendre à n'évinçant pas le problème que posait le plaisir féminin et sa frustration, transformés alors en maladie mentale. Cependant, le film joue à mon sens l’ambiguïté sur l'association d'idées, à savoir que le délaissement et/ou l'incapacité des époux à satisfaire leurs femmes serait l'origine non reconnue de l'hystérie - qui a parfois des causes beaucoup plus grave et complexes - et en un sens, ne serait qu'une invention machiste... Dangereuse déduction simpliste...

Divertissant, amusant donc, mais très - trop presque - léger. Serait-t-il d'ailleurs possible, un jour, d'évoquer les sex-toys sans sombrer dans la comédie, l'humoristique (comme dans la mauvaise bande dessinée "Magasin sexuel" de Turf), voire humoristique gourmand mais ultra-caricaturale (la bande dessinée "Le déclic" de Manara) ?



lundi 19 décembre 2011

"L'Os de Dionysos" de Christian Laborde, éd. Le Livre de Poche

4ème de couverture : "Le 12 mars 1987, L'Os de Dionysos a été interdit pour " trouble illicite, incitation au désordre et à la moquerie, pornographie et danger pour la jeunesse en pleine formation physique et morale " par le Tribunal de Grande Instance de Tarbes.
En mettant en scène, dans un récit éritico-satirique virulent et provocateur, le conformisme et la mesquinerie d'un établissement scolaire privé, Christian Laborde a obtenu un succès de scandale qui ne doit pas faire oublier la somptuosité verbale d'un jeune écrivain émule des surréalistes, salué par Claude Nougaro aussi bien qu'André Pieyre de Mandargues"

Un livre à classer comme bon nombre d'autres titres pseudo-érotique dans la catégorie "Soupir". A cette première interdiction, responsable supposée du succès du livre, s'ajouta l'arrêt du 30 avril 1987 de la cour d'appel de Pau pour "blasphème, lubricité, provocation, paganisme, […] et contenu incompatible avec le projet éducatif d'une école vouée au rayonnement de la parole du Christ"(source : Wikipédia).
Le début prête sincèrement à sourire, tant le détournement de ce passage de Marcel Proust dans son roman "Du côté du chez Swann" fut usité : "Longtemps je me suis branlé de bonne heure". Ainsi le début se construit-il sur la tentative d'écriture de Christophe, enseignant de français dans un lycée privé, en quête de reconnaissance littéraire, de retour à la terre et d'harmonie avec la nature. Tendance profonde du personnage qui donne prétexte à développer un lexique lyrique éculé : "ivresse", "j'abandonnais à la terre ma propre liqueur", "petit matin", "buissons plus épais", "l'oeil du coucou". Pour appuyer cette ivresse des sens que seule la terre semble pouvoir offrir en tant que (ré-)génératrice, apparaît quelques paragraphes plus loin, alors que nous retournons dans le quotidien de cet enseignant, ce qui put être, sorti du contexte, un de ces mauvais haïkus que certains ateliers d'écriture tentent vainement de faire écrire aux participants sous prétexte d'accessibilité (quoi de plus dur cependant que le haïku par sa forme précise, fine et réduite à une sorte de pureté esthétique, même dans l'ignoble, esthétisme du Japon traditionnel en quête de sobriété presque extrême ?) :"La pièce est bien éclairée. Le plancher en chêne brillait. Dehors, l'automne et les Pyrénées". Le ton est annoncé mais sera caché par l'excitation de la langue déchaînée, celui de la platitude.
L'évocation des anciens sabbats sur la lande du bouc permet de renforcer cet aspect et l'envie du personnage de secouer une population régionale devenue frileuse et molle dans ses revendications, une mollesse qui ne cache pas son goût pour des tendances extrémistes en matière de politique. C'est cette énergie revendicatrice d'un pseudo-anarchique qui agite tout le roman, une sorte de révolte qui l'excite, jusqu'à sa sexualité sur laquelle il semble revenir avec ce goût de la provocation par l'étalage, censé choquer le bourgeois qui sommeillerait en chacun. Il ne suffit pas d'employer le mot "bite" deux trois fois, "raie," "cul", "fente", "gland", "grosses couilles", dans une tentative de débauche verbale pour pouvoir classer un livre comme érotique. Cela pose la question de la langue : un livre érotique ne l'est-il pas parce que la langue écrite l'est de même ? Dans le cas de la pornographie aussi, vulgarité y comprise ? Ainsi se trouve le décalage de la censure et du caractère érotique véhiculé avec la présentation de ce livre, alors qu'il ne s'agit que de quelques évocations d'une sexualité qui ne paraît être au final qu'une forme de loisir chez ce personnage, loisir qu'il tenterait de sacraliser par l'image de sa compagne, Laure, représentant une forme de pureté car idéalisée (mystère, corps parfait qui ne peut être souligné que par des sous-vêtements d'une blancheur obligatoire pour exprimer une "vraie" féminité, élégance des gestes, discrétion au point qu'elle n'a aucune consistance si ce n'est celle de symboliser le fantasme de la perfection cadrée, contraire au mouvement anarchique que semble rechercher le personnage). Ainsi s'oppose les clichés entre lesquels le personnage Christophe oscille, en quête d'un idéal de liberté et de recherche de sens détruit par un conformisme éducatif - mais pas seulement. Bel anarchique, qui finit par se marier... Chercher l'erreur. Mais le lecteur est noyé dans l'avalanche de mots et de phrases courtes, incisives, sous un air faussement décontracté : je suis cool et rebelle. La tournure veut le sens du choc, du heurt dressé régulièrement et renforcé par l'abus volontaire, puis-je supposer, du point d'exclamation. Mais l'ouvrage reste très terre-à-terre : le fait de dénoncer en tous sens les travers d'un système éducatif et de rêver bouleversement par le fond ne suffit pas à créer de la réflexion. Aucune profondeur ne transparaît, mais beaucoup de vent est brassé. La langue s'agite en tout sens, mais sur quoi se pose-t-elle ? Quelles interrogations suscitent-elles ? Quel sens critique au-delà de la simple flatterie du plaisir mesquin de critiquer sans aspect constructif ?
L'ouvrage veut recréer du sens et ne va pas au-delà de l'utopie, ne la dépasse pas en la pensant dans sa représentation et son écho dans l'intime : il cherche une idée mais ne se pense pas d'abord. 
Au final, il malmène - à juste titre - l'éducation nationale de l'époque au point d'en devenir caricatural par extrémisme opposé. A mon sens, le seul fait d'avoir touché à ce système explique la cause de la censure, afin de faire taire une voix qui dérangeait en soulignant grossièrement les travers, et ce d'autant plus qu'il s'agissait d'aborder la chose par le point de vue d'un professeur. 
En parlant de professeur, mieux vaut lire, en matière d'érotisme et d'interrogation sur le rapport au monde, ce vers quoi l'être tend en bandant, ce que le désir interroge et amène la langue à tenter de cerner le trou de l'être (prenez-le dans tous les sens du terme), le titre éponyme de Christian Prigent...

dimanche 4 décembre 2011

"Sleeping Beauty" de Julia Leigh

Résumé : "L'Australie, de nos jours. Lucy, une jeune et ravissante étudiante, peine à boucler ses fins de mois. Lasse de multiplier les petits boulots, elle répond à une mystérieuse annonce et se fait engager dans un non moins mystérieux réseau de call-girls. En des lieux raffinés, régis par des règles indéchiffrables, elle devra respecter le rituel suivant : s'endormir, passer la nuit avec des hommes fortunés qui disposeront de son corps et ne plus se souvenir de rien à son réveil..."

Fascination... C'est l'oeil (décidément, cela pourrait devenir une obsession) ouvert de toute sa force d'imprégnation que j'ai investi ce film. Investir me semble être le mot (Étymol. et Hist. 1241 envestir (de) « mettre en possession (d'un fief, etc.) : le film devenait la part d'une aspiration de vécu. L'être devenait tour à tour la jeune fille Lucy, Clara, l'employeuse gérant toute l'organisation, les trois hommes, les domestiques... Il fallait se glisser dans la peau des personnages pour aller au-delà des premières réactions critiques. Un charme froid et lent opère durant les trois-quarts du film. Lucy est d'une beauté douce, presque insipide mais délicate. Sa force réside dans la maturité placide qui suscite l'admiration : si jeune et en parfait accord avec une vie exigeante par son investissement et la capacité à offrir. Car il me semble que le fait de s'offrir oriente tout le film : s'offrir à la science, s'offrir au besoin de présence, de soutien et d'amitié avec Birdmann, s'offrir aux femmes (?) - la réalisatrice n'est pas claire sur une scène dans un bar concernant le désir possible de Lucy avec les femmes, et cela est dommage... comme beaucoup d'autres points - s'offrir aux hommes dans les bars d'hommes d'affaires, s'offrir au toucher et au regard examinateur permettant de juger le corps plaisant et apte à satisfaire les critères de sélection, s'offrir à son collègue (moment à mon sens absolument anecdotique, et donc inutile dans le film, avec un effet méchamment mièvre lors de la scène dans l'eau, au clair de lune), s'offrir à la vue dominant la ville avec ses immenses baies vitrées sans rideaux, s'offrir aux hommes âgés dans un sommeil médical...
Là est le point de bascule du film. Cette offre maîtrisée de soi m'interroge dans l'histoire : la réalisatrice ne semble pas au début se prononcer sur le fait que Lucy soit en quête d'argent, malgré ses besoins (le fait de brûler le billet, clin d’œil gainsbourien un peu lourd, pourrait tendre vers cette pensée ; le fait d'afficher une sérénité permanente dans chaque acte de sa vie surtout), puis le film bascule dans la nécessité de trouver un financement pour se loger - la réalisatrice n'assume-t-elle plus ? Pourquoi le besoin d'argent serait-il la seule justification possible au fait d'offrir son corps dans un calme total ? Car le personnage dégage une sorte d'opacité sereine, à la fois dans et hors du monde, au-delà d'une trivialité quotidienne à laquelle pourtant elle est confrontée - mais dont on nous épargne beaucoup de détails, cependant.
Point de bascule donc, car la jeune fille perd le contrôle d'elle. En s'offrant volontairement aux attentes physiques d'autres personnes sans être consciente par le biais du sommeil, elle abandonne sa vie. Et sa demande de filmer en cachette ainsi que sa réaction finale, malheureusement, frisent le ridicule : aussi mature, malgré des faiblesses qu'elle apprend à cerner et à dépasser (ses larmes lorsque Birdmann annonce sa décision), n'a-t-elle pas conscience du caractère infantile de sa demande ? Car cet acte est clairement défini en amont : sans regard aucun, la personne peut se livrer à ses fantasmes, respectant une demande de non-pénétration cependant (mais il semblerait que les trois hommes âgés en soient aussi incapables), ainsi que de non-marquage des corps (pourquoi ce deuxième point ne fut pas précisé à la première scène, puis fut ajouté à la deuxième comme un oubli, tant le risque est évident par ce genre d'expérience ? Par politesse implicite envers ces personnes riches et apparemment hautement placées ? Nous ne savons pas, mais cet ajout en cours de route fait doucement sourire par l'aspect manichéen et lamentablement cliché sous-entendu : les gentilles femmes manipulées qui ne se doutent pas de la perversité innée des hommes...). 
Il est en effet question d'un abandon total, et d'un respect du fantasme de l'autre. L'accepter, c'est accepter de respecter l'autre dans sa nudité psychologique, c'est s'abandonner entièrement à la conscience de l'autre dont la demande reflète toute la part de mal-être qui existe : celle ne pouvoir être parmi les autres ce que nous sommes réellement dans nos envies. Vouloir filmer, c'est ne pas comprendre la douleur de l'autre, c'est ne pas comprendre l'implication et l'expérience vécue de part et d'autre. 
Qu'elle hurle de pleurs au réveil à côté du corps mort est une réaction tout à fait compréhensible, me semble-t-il : le choc est là, la faiblesse issue de la prise de conscience existe, ajoutée à la réaction physique du corps - Lucy semble avoir frôlé le coma par mélange de substances. Mais à cette scène s'ajoute une dernière, celle du point de vue de la caméra filmant les corps mort-endormi. L'idée est intéressante, mais terminer dessus laisse entendre que Lucy n'a pu dépasser le choc et se retrouve comme une sorte de petite fille confrontée à la dure réalité du monde, ce qui donne un aspect totalement niais et contradictoire face au choix de vie et l'engagement du début. N'avait-elle subitement plus conscience de ce qu'elle faisait ? Quel dommage de ne pas avoir poussé la réflexion plus loin... 


Ainsi, ne peut-on admettre le fait d'avoir du plaisir à s'offrir ? Que l'offre dans un cadre contrôlé et respectueux - car chaque personnage, sauf les deuxièmes et troisièmes hommes âgés, fait toujours preuve de respect, soit poli, soit poli et sincère ; il y  a quelque chose à la fois d'anglais et de japonais dans ces manières. A part donc ces deux hommes cités, mais que je ne peux juger comme mauvais, car simplement en mal d'être dans leur rapport à leur corps (le besoin de prouver une force physique du troisième homme, d'être maître de son corps) et à la femme (les insultes ne sont pas destinées à Lucy, mais semblent cacher un sentiment d'infériorité et d'humiliation vécue - il y a une sorte de jouissance similaire à celle dans "La Chenille" de Edogawa Ranpo, celle de mélanger humiliation, domination et honte), le corps tend à être non pas dévaloriser, mais sublimer. 
Je ne peux m'empêcher de souligner aussi le clin d’œil fait à "Histoire d'O", notamment lorsque la jeune fille est amenée la première fois au château : la voiture et le jeu de regard avec le chauffeur, l'allée sous couvert d'arbres comme à Roissy, évoquent les premières scènes du film de Just Jaeckin. Il y a la même perte de contact avec ce qui est acquis : avec la réalité dans "Sleeping Beauty" par l'absence de conscience via le sommeil, et perte de contact avec les règles de société dans "Histoire d'O", par l'initiation en huit-clos, dans un univers régi différemment dans le rapport à l'autre et à soi - quoique... Cependant, dans ce dernier, est développé l'abandon violent, celui qui aspire à dépasser l'être construit socialement pour ne devenir qu'acteur du plaisir : se soumettre totalement pour devenir maître de soi ? N'est-ce pas un peu de l'"Histoire de l'oeil" de Georges Bataille ?

S'offrir suscite-t-il toujours une envie de domination innée en nous ? Peut-on être consciemment dans ce don, sans être soumis, sinon par l'apparence, mais l'esprit au-delà, dans une sorte de contemplation jouissive de soi et des autres ? Ce don n'est-il pas en fait la satisfaction de l'ego, ainsi que le serait tout don ? (aimer faire plaisir n'est-il pas aussi se faire plaisir à soi, inconsciemment ou non ?)

jeudi 24 novembre 2011

"Histoire de l'oeil" de Georges Bataille (éd. 10/18), 1

Résumé : "Histoire de l'oeil", édité clandestinement pour la première fois en 1928, sous le pseudonyme de Lord Auch, décrit les expériences sexuelles de deux adolescents et leur perversité croissante."

4ème de couverture : "Penser ce qui excède la possibilité de penser, gagner le point ou le cœur manque, les moments ou l'horreur et la joie coïncident dans leur plénitude, ou l'être nous est donné dans un dépassement intolérable de l'être qui le rend semblable à Dieu, semblable à rien. Tel est le sens de ce livre insensé.
Les trois récits rassemblés ici sont l'expression la plus concise de la terrible exigence d'un homme qui avait voué sa vie et son écriture à l'expérience des limites. À travers le blasphème et l'indécence, c'est bien la voix la plus pure que nous entendons et le cri que profère cette bouche tordue est un alléluia perdu dans le silence sans fin."

Enfin je découvrais, entre autres, "Histoire de l’œil" de Georges Bataille, récit dans lequel je plongeais avec la même fascination que pour "Le château de Cène" de Bernard Noël, y découvrant des similitudes fascinantes : le corps de la femme à la fois objet et manipulatrice et en obsession d'une forme de déchéance, l'une, chez Georges Bataille, qui la mènera au plus proche de la mort et de la destruction de l'être pensant au profit d'une exacerbation des sens et de l'outre-sens, qui, sous une première apparence de dépassement de la vie comme au moment de la jouissance, ne mène finalement qu'à la destruction. L'autre, chez Bernard Noël, en quête de dépassement de l'être victime consentante, afin de devenir maître de son désir et de sa pensée, de dépasser le statut de corps par son exploitation extrême (subite pensée : y aurait-il un rapport quelconque avec la Passion du Christ ? Ici, la Passion deviendrait non pas le martyre, mais la torture du corps et de l'esprit excités avec une prise de conscience travaillée au fur et à mesure du récit pour accéder à un stade dépassant le désir primaire ?)

Similitude, donc, notamment avec l'oeil et la notion de regard, aspect prédominant durant tout le récit. Le narrateur ne semble être acteur que par le regard qu'il a ou suscite par la scène exécutée, propre à ravir les sens de sa campagne de jeux sexuels, Simone, à la folie captivante et repoussante tout à la fois, oubliant tout repère conventionnel. Les expressions véhiculées par les regards multiples sont à l'égal d'un choc ou d'un après-choc : outrées, scandalisées, désespérées, lassées ; le regard demeure voyeur volontaire ou non. Si l'oeil ouvert du mort constitue une gêne première pour Simone lors de sa deuxième expérience mortuaire, il semble acquérir tout son potentiel d'amplification de la jouissance par l'appropriation du regard, en détachant l'organe du corps pour le posséder comme unique objet permettant de posséder le monde et ses sens en se faisant maître de : l'urine sur l'oeil ouvert de la morte Marcelle semble vouloir le liquéfier ou le fermer, et se veut geste de possession mêlé de rage face à la mort qui ôte toute stimulation. Puis la pénétration dans l'oeil droit du matador Granero par la corne du taureau, laissant l'oeil pendre hors de son orbite, tandis que Simone insère dans son vagin une testicule de taureau, à la blancheur évoquant l'organe : une première piste se révèle pour dépasser l'oeil froid du mort qui renvoie à la vacuité des personnages. L'appropriation est symbolique et provoque une scène violente de jouissance et d'évanouissement. Pour acquérir tout à fait le pouvoir de l'oeil, le pouvoir de concevoir le monde puisque le regard génère le concept d'apparence et délimite pour créer une définition propre à chaque chose ainsi cernée, le récit se finira sur l'énucléation du prêtre mort, le roulement de l'oeil sur les corps copulant, son insertion dans l'anus puis dans la vulve de Simone, renvoyant le narrateur au regard bleu de Marcelle, pleurant dans la chair noire et poilue des larmes d'urine et de foutre. La scène est tout simplement magnifique d'outrance et de retour initiatique à la source des plaisirs, celle du regard de Marcelle, non pas le premier, mais celui qui sacre toute la démarche orgiaque et apparemment incohérente de Simone et du narrateur ; le regard de Marcelle rendue folle par la honte et le dégoût ressentis, mêlés au désir refoulé, écho au regard que le lecteur se sent avoir, tout en pouvant puiser dans le palpable des chairs entremêlées et décrites de façon presque gouleyante. Tout se chevauche et s'échappe du corps pour inonder l'autre, évacuant l'être dans l'orgasme et le dépassement de la limite, allant au-delà du tolérable pour chercher sensation - et non sentiment - de soi. Un cérémonial dément qui se répète pour atteindre une perfection cyclique, qui rappelle aussi "Le château de Cène" de Bernard Noël, dans lequel cependant, la différence réside entre autres dans le fait que les personnages sont maîtres de leur quête, fréquentent et flirtent avec la mort, non pas dans une quête destructrice, mais en tant que révélation de l'être qui s'approprie son corps, ses désirs et sa pensée. Dans "Histoire de l'oeil", tout semble être voué à la destruction, à l'animalité du corps et l'effondrement de la pensée des protagonistes pour accéder à une sensation de plein par le vide ; le plein est l'oeil qui englobe et est gobé par la vulve. Le trou du monde donne la sensation d'être pallié par l'absorption de l'oeil qui le définit en tant que tel par le fait même de voir. Fermer l'oeil du mort serait se fermer au monde. Or, le monde doit être vu, le monde doit voir (en lui donnant l'oeil bleu, à la limpidité symbolique d'une innocence décadente ? D'une folie pure et donc transcendant toute répulsion ?) afin de le posséder et le mener à sa perte par usure de ses limites : jusqu'où le corps peut-il aller pour jouir et accéder à la puissance du ressenti, donnant la sur-impression d'être ? 

Une pensée se glisse de nouveau : la jouissance n'est-elle pas une excitation faussée de l'esprit, l'amenant temporairement à frôler quelque chose de sublime, d'expropriation du corps (par qui ? par quoi ?) qui le mène à se penser en surêtre (je me permets cet usage remplaçant le "surhomme") mais ne flatte que sa volonté de dépasser le désespoir et son désir plus ou moins conscient d'être plein, d'accéder à un tout explosant l'être en sensation d'ubiquité, stimulant la notion de puissance d'être pour nous rendre au monde tout en ayant l'impression d'apercevoir ce qui donnera sens ? La jouissance est-elle une manière de fuir la réalité ? En quoi un ressenti éphémère pourrait-il mener à une persistance pleine de l'être ?

Je ne puis m'empêcher de noter le rapport subjuguant entre les scènes autour de l'oeil dans les deux récits cités précédemment, et l'intromission de l’œuf dans le vagin de Sada dans "L'empire des sens" (furent évoqués dans certaines critiques l'oeil de la caméra et celui du spectateur), évoquant la manie de Simone de casser des œufs avec ses fesses.Voilà un triptyque fort intéressant...

dimanche 13 novembre 2011

"La chenille" de Suehiro Maruo et Edogawa Ranpo (éd. Le Lézard Noir)

Ma première réaction en feuilletant ce manga oscilla entre fascination et léger dégoût. L'ouvrage, de belle facture, appartient à ce genre souvent déstabilisant - ce à titre personnel, mais j'oserais dire de façon aussi commune - qu'est l'uro-guro (érotico-grotesque). Je me permets de citer à ce sujet un extrait de la postface, de grande pertinence, fort enrichissante et intitulée "Corps déviants", de Miyako Slocombe, soulignant des croisements d'influences issues de différentes périodes et pays :
"Les années 1920 au Japon sont donc une période de foisonnement culturel, et c'est également à cette époque-là que naît ce mouvement artistique qu'est l'eroguro. Celui-ci s'inspire surtout de l'Occident, notamment avec le marquis de Sade, le théâtre du Grand Guignol, ou encore les œuvres de Georges Bataille. Mais on peut également trouver l'origine de l'eroguro dans le bouddhisme japonais : en effet, il existait par exemple de nombreuses représentations macabres de jeunes filles à divers stades de leur putréfaction. De même, on peut évoquer les muzan-e, estampes japonaises apparues au XIXe siècle et représentant des scènes cruelles d'une violence extrême."

Il s'agit donc ici d'une adaptation du roman "La Chenille" de Edogawa Ranpo, paru en 1926 :

Résumé : "Lorsque Tokiko retrouve son mari, rapatrié après avoir été grièvement blessé au combat, il n'est plus qu'un homme-tronc : le lieutenant Sunaga a perdu bras et jambes et ses blessures l'ont défiguré et rendu sourd muet. Condamnée à vivre recluse avec lui, Tokiko va ressentir un plaisir nouveau, entre dégoût et fascination, à voir souffrir cet être difforme et sans défense."

Ce huit-clos est alimenté par l'oscillation entre devoirs conjugaux et désirs primaires, qu'ils soient de l'ordre de la sexualité ou bien de l'ordre du dégoût devant la monstruosité physique. Chacun des époux possède l'autre à sa manière, mais seules les émotions de la jeune femme nous sont en partie accessibles. Cet aspect-ci serait la seule nuance de ce manga, car la relation entre le couple reste jusqu'au bout de surface : nous n'avons pas accès aux liens éventuels qui les uniraient et témoigneraient d'une affection, d'une complicité éventuelle, d'un passé partagé, de goûts communs. Ceci peut peut-être s'expliquer par un mariage certainement arrangé puisque se déroulant durant l'ère Taishô (1912-1926) et une pudicité japonaise très prégnante (à l'époque) chez les couples (voir par exemple les excellents films du réalisateur japonais Yasujirō Ozu ).

Ce manga génère un malaise intéressant, car finement abordé. Une finesse qui, par ailleurs, se retrouve dans le graphisme. Le trait fin et délicat souligne les manières gracieuses de l'épouse, la douceur et la rondeur de son corps, mais aussi l'omniprésence du corps détaillé par l'illustrateur. L'horreur devient fascinante tant le trait cerne de façon délicate chaque cicatrice, chaque goutte de sueur et de sang, chaque détail de cauchemar. L'horreur a une densité saisissante, l'homme-tronc parvient à emplir tout l'espace, et son regard clair capte toute l'attention à chaque apparition. Voilà l'horrible et le grotesque habilement mêlés, les besoins de ce corps-chenille provoquant comme chez l'épouse une véritable fascination et un rejet profond, telle une larve qui s'insinuerait dans le corps et l'esprit, exacerbant la sensibilité de la peau révulsée à l'idée du contact. Les attentions érotiques de l'épouse paraissent au début admirables, puis basculent dans la honte et l'impossibilité d'en réchapper, le corps réclamant sa propre déchéance - comme un écho au superbe film "L'Empire des Sens", lorsque le couple s'enferme plusieurs jours dans la chambre d'hôtel sans jamais nettoyer les lieux, s'imprégnant de l'odeur âcre des corps dans le besoin perpétuel de s'accoupler. La différence est qu'ici, le désir est subi, non consciemment recherché par la femme, qui se laisse happer par le désir primaire de l'homme qui excite sa jouissance et sa révulsion au point de basculer dans une violence à la mesure de la réduction humaine dans laquelle elle se trouve.

Contrairement à la bande dessinée "Casino" qui relève plus de l'ordre de la distraction, cette adaptation du roman (non lu pour l'instant) en bande dessinée constitue en soi une véritable œuvre littéraire. Elle pose les limites du désir, qui perd ses premiers repères dans la déformation des corps. La vision suscite l'horreur, mais pourquoi suscite-t-elle aussi le plaisir sexuel ? Il ne me semble pas s'agir simplement d'un interdit. Est-ce l'approche de la mort ? Une façon de se rendre maître d'un Inconcevable que notre instinct de vie rejette ? Cela me semble cependant trop réducteur. N'est-ce pas aussi une confrontation à ce qui est nous constitue intimement ? Difforme, voire ici réduit à un aspect larvaire, le désir et le plaisir sont pourtant présents. Il ne s'agit pas seulement d'accouplement, mais de prendre plaisir aux préliminaires (le cunnilingus est fort présent) et de susciter un érotisme (l'intromission de la banane). L'être peut-il être sexuel lorsque réduit à ses plus simples besoins (l'époux semble en permanence végéter, dans une attente immuable, et l'épousée prompte à essuyer l'urine ou les étrons rejetés lors de son absence) ? L'humiliation comme déclencheur du désir, lorsque le corps et les entrailles frémissent de plaisir devant la vision repoussante de l'autre, réduit à son simple statut de copulateur, et de sa propre vision décadente dans cette utilisation de l'autre. Humiliation, qui est donc liée à la domination (encore...), ici en alternance.
La jouissance devant l'horreur tend-elle à nous amener au statut non seulement de bête, mais surtout de non-être, réduisant la personne au statut d'objet sexuel, et donc amenant irrémédiablement à la destruction, ou du moins, à un état destructeur ?
Est-ce que la société nous empêche de sombrer dans cet avilissement intimement séducteur, stimulant un penchant pour la destruction par le plaisir ? La question se pose ici car la bande dessinée soulève la nécessité d'un laisser-aller contraire à la demande sociétale oppressante, où le regard de l'autre peut destituer et/ou enlever toute notion de respectabilité. Pour y survivre, le couple vit dans un cloisonnant abrutissant qui ne peut perdurer que dans la répétition des gestes quotidiens pour assurer un confort physique. Seuls la mort et le geste du pardon - scène sublime dans le manga - redonnent une humanité aux personnages. Humanité temporaire ? Recherchée dans un geste qui nous élève au-delà de nos besoins primaires et ferait de nous des êtres conscients par une recherche de sens ?
A noter l'excellente critique de Olivier Rossignot. 

dimanche 30 octobre 2011

Autre Parc-aux-cerfs : "L'apollonide : souvenirs de la maison close" de Bertrand Bonello

Synopsis : "À l'aube du XXème siècle, dans une maison close à Paris, une prostituée a le visage marqué d'une cicatrice qui lui dessine un sourire tragique. Autour de la femme qui rit, la vie des autres filles s’organise, leurs rivalités, leurs craintes, leurs joies, leurs douleurs... Du monde extérieur, on ne sait rien. La maison est close."

Le sujet devient-t-il prolifique en ce moment ? 2010/2011 : édition française de la bande dessinée "Casino", diffusion de la série française "Maison close", parution du film "L'Apollonide"dans les mêmes tons (ambiance, figures, personnages, écho d'histoire)...
Les maisons closes suscitant de nombreux fantasmes érotiques, le risque du sujet était de les stimuler plus ou moins inconsciemment, puisque maison close de luxe il s'agissait, ou bien de sombrer dans l'apitoiement. Cette deuxième option fut celle choisie (inconsciemment ?) pour le film pauvrement interprété et platement filmé, laissant peser une lourde, très lourde chape d'ennui. Des critiques ont qualifié ce film de malsain et glauque. S'il l'eut au moins été, il y aurait eu matière à débattre. Aucune subtilité, aucune empathie avec les personnages, des flashbacks et des symbolismes qui alourdissent conséquemment le film ; le tout est abordé en surface. Un extrait amusant et parlant de critique sur Allociné, de Erik666 : "Long, lent, caricatural. Le même type de fraternité que dans les films de guerre. Il faut sauver la catin Ryan."
Pourquoi en parler, alors ? Il me semble que la critique négative reste pertinente pour nous maintenir en alerte sur les facilités qui nous entourent, affûter son esprit et accroître les références qui seront socle pour mieux développer un jugement pertinent, capable de ne pas sombrer dans le piège de la facilité, des clichés et des a priori.

* * *
Petite digression par une question qui pourrait alors en découler : les nanars sont-ils donc nécessaires pour s'élever ? Je songe alors au film de Edward Davis Wood "Plan 9 from outer Space", reconnu comme l'un des plus mauvais films ayant jamais réalisés, devenu culte et référence cinématographique.

* * * 

Les commentaires sur AlloCiné m'ont interpellée : certains se détournent d'un tel sujet sous prétexte que la violence, la misère, la dette, l'esclavagisme, la dépression en sont le tribut. Ne doit-on ne pas se confronter plutôt à ces aspects-là, au lieu de perdurer dans le mythe ? Le "glauquissime" serait-il inconvenant ? Prendre conscience aussi ?
Ce film pose à nouveau question sur la façon d'aborder cette thématique. Le débat demeure vaste, mais l'intérêt d'en faire un film, en-dehors de l'approche purement historique, serait de parvenir à saisir ce qui poussait certains hommes à devenir réguliers de ces endroits, sans bien sûr se cantonner au cliché de la frustration et du fantasme, mais pour explorer une société dans ce qu'elle a de paradoxale, entre convenance et penchant - penchants loufoquement abordés dans la bande dessinée évoquée dans le post ci-dessous, qui soulève certaines questions sur l'aspect finalement courant de certaines pratiques. Suivre certains mal-être au lieu de les stigmatiser, et ne pas se cantonner en lieu-clos sous prétexte de ressentir, puis-je supposer, ce que ressent la prostituée, car en l'occurrence, même si cet aspect-là demeure particulièrement intéressant, le film n'en possède pas la subtilité d'approche et de finesse. Et puis... ces femmes, qui n'avaient pas accès aux maisons closes mais n'en demeuraient pas moins désireuses ? Outre le luxe mondain d'un ennui bourgeois, ne peut-on évoquer le désir de la femme dans ce cas-là ? 
Maison close... Fascination pour le luxe étalé dans certaines ? La sensualité lourde des corps, la mise à disposition du fantasme, l'illusion du consentement facile, l'acceptation de soi dans son désir unique, j'entends par là individuel... Quelles pratiques émergeraient aujourd'hui si réouverture il y avait, hommes comme femmes, dans le respect de la législation du travail ? Quelle relation à l'autre et quelle relation à l'érotisme ? Si le désir est présent, doit-on le combattre comme anormalité ? Vendre son corps est-il plus humiliant que se vendre pour telle ou telle société et cautionner telle type de mentalité et de rapport à l'être humain, au point de le déshumaniser ? Offrir son corps contre de l'argent est-il une simple déshumanisation ? S'offrir alors en show, dévêtu(e), ne relève-t-il pas du même consensus ? Bien sûr, le développement est beaucoup plus vaste que cela, j'en conviens tout à fait, puisqu'il y a regard du client sur l'acteur qui est aussi l'objet à consommer, sans différenciation entre l'intermédiaire qui offre le service et le service lui-même. 
C'est le rapport au corps qui m'interpelle, et soulève en moi une question tout à fait différente et sans premier lien, à savoir ce culte de la virginité chez la femme, où la première fois doit être consacrée tel un acte religieux, posant question sur l'épanouissement de la sexualité, qui prend pourtant tout son sens et acquiert tout son potentiel de plaisir en la pratiquant... Effacer la sacralisation de la virginité afin d'offrir un autre champ de possible en terme d'épanouissement, tout en mesure conscience des risques, mais ne pas se limiter à une notion de restriction et de perte...

mardi 11 octobre 2011

"Casino" de Leone Frollo (éd. Delcourt , coll.Erotix), 1

Voilà que la lecture de cette bande dessinée m'amène à rechercher la définition de la pornographie, puisque la série me semble d'un premier abord plus proche de ce genre que de celui d'un érotisme travaillé. Or, voici qu'un problème se présente :

-> Définition de la pornographie selon :

Larousse : Présence de détails obscènes dans certaines œuvres littéraires ou artistiques ; publication, spectacle, photo, etc., obscènes. 

Tlfi (Le Trésor de la Langue Française informatisé): Représentation (sous forme d'écrits, de dessins, de peintures, de photos, de spectacles, etc.) de choses obscènes, sans préoccupation artistique et avec l'intention délibérée de provoquer l'excitation sexuelle du public auquel elles sont destinées. 
 

Résumé de quatrième de couverture :

"Chez madame Georgette, tenancière d'un bordel Belle Époque, tapinent les plus belles filles de Paris.
"Dans la maison close" un ministre italien tente de passer une soirée incognito. Dans "Le Train bleu" deux vraies-fausses prostituées sont envoyées en mission très spéciale. Dans " La Dernière Vierge de Paris " un client fortuné recherche une âme pure dans un corps immaculé. Et si tout le monde était satisfait ? Casino est la série culte de l'immense Leone Frollo, surnommé le lion de Venise, l'égal de Manara et Crepax.
On lui doit de magnifiques dessins qui célèbrent les prostituées, les femmes fatales et les pin up. C'est la première fois que Casino paraît en France non censuré, en respectant le principe du format d'origine."

A noter que l'éditeur a mélangé les titres du deuxième et du troisième récit, ce qui est fort regrettable pour un travail de réédition soucieux d'une version fidèle et d'une reconnaissance de l'auteur.
L'ensemble est en tout cas fort ravissant, comme une douceur polissonne aux ébats certes parfois scabreux mais très fair-play. Bordel de luxe oblige ? C'est oublier la misère et la détresse cachées, le foutre et les regards injurieux qui pourraient échapper, la maladie et le corps exploité. Or, il n'est volontairement pas question de ces aspects-là, puisque chaque histoire se peint sur fond humoristique voire franchement burlesque, et pourtant semblant toucher un possible en chacun, ne délaissant pas les tabous par exemple scatophiles (la jeune fille pétomane à chaque coup de rein) ou les penchants décalés, où la honte du ridicule pourrait tuer toute désinhibition, joyeusement et lucrativement acceptée chez "One Two Two". Les filles y sont jolies selon les goûts de la mode et physiquement stéréotypés à la manière de Manara, ce qui donne un côté insipide à la soi-disant beauté des corps. Est-on alors dans la pornographie qui standardise selon les genres ? Pourtant, l'ensemble des acteurs dans ce milieu, d'autant plus lorsqu'il est issu de l'underground, peut paraître plutôt disparate avec des physiques allant de l'anodin au monstrueux, ceci étant favorisé par le fait que tout à chacun peut y contribuer en tant qu'amateur. Donc fausse polémique des standardisations ?
L'illustration - maîtrisée et classique - est chez Leone Frollo centrée sur les corps mis en scène mais ne reste pas centrée sur les organes génitaux, ce qui lui aurait sinon conféré, je pense, le statut pur et dur de "bande dessinée pornographique". Ainsi s'offre une touche de perversité amenée par de petites mises en scène. Mais il ne s'agit pas ici de s'attarder sur une quelconque crédibilité de caractère ou d'état d'âme, seulement sur des interrogations d'ordre pratique (la taille de ce monsieur monstrueusement nanti et la manière de pourvoir à son désir). Sympathique et réducteur, le fantasme est assumé et s'entretient à la variété des spécialités des prostitué(e)s et des désirs des clients - semble-t-il plus poussés dans le deuxième tome.
A développer : le fantasme de la maison close. Le désir d'être putain de luxe, le besoin de l'apparence, du regard, du désir purement sexuel, de l'attirance et des règles de jeu à maîtriser ; il faudrait mettre en scène plus de situations d'actes sexuels de l'avant à l'après dans tous ses aspects positifs et négatifs. Hommes et femmes, sommes-nous enclins naturellement à la soumission et au désir de domination destructrices ? Est-une tendance naturelle que notre esprit nous apprend à maîtriser voire à dépasser ? Et ce doux besoin de voyeurisme, masturbation de notre cerveau sexuel, plaisir de s'offrir par l'illustration et le texte à tous sans être ? Le désir et le plaisir sont-ils une aspiration à sur-être ?


samedi 1 octobre 2011

"Le professeur" de Christian Prigent, 1

Nouveau plongeon dans "Le Professeur" de Christian Prigent (éd. Al Dante)...

Résumé du site Decitre :
"Le Professeur se compose en 28 chapitres qui sont autant de saynètes pornographiques qui ponctuent une relation amoureuse. Un vingt-neuvième chapitre, intitulé Fin, clôt ce récit. Chaque chapitre est composé d’une seule phrase, longue (plusieurs pages), écrite selon un rythme lancinant, parfois heurté, syncopé. Il y a ici une confrontation violente entre le travail formel, « abstrait » de la langue, et le sujet, pornographique, où le corps et ses élans sont présents dans toute leur crudité. Ce livre se situe dans une droite lignée bataillienne, il en est même un hommage, où la notion de « pure perte », chère à Georges Bataille, est ici remplacée par Christian Prigent en « part putain ».
L’histoire : un professeur initie une élève à l’amour, selon les codes de la possession. Effectivement, leur relation relève du domaine du sadomasochisme : lui dans le rôle du maître, elle dans celui du sujet docile. Lui édicte les règles, elle obéit et « fait au mieux » : elle accepte toutes les règles du jeu, acceptant pour cela toutes les aventures, même les plus inédites et les plus risquées. Quant à lui, il va jusqu’au bout de son imagination, au bout de son désir…au bout du possible, jusqu’au pire de sa désespérance.
Car dans cette histoire, plus que d’aller au bout de ses fantasmes, le but est bien plus d’oser aller jusqu’au bout de ses peurs, de ses angoisses existentielles, pour tenter de s’en libérer, et la dimension tragique de ce livre est bien, justement, dans la conscience nue de l’impossibilité de cette quête. Derrière ce récit pornographique, se révèle une véritable parabole sur la conscience d’être mortel, au sens philosophique du terme." 


Le rythme de la langue exerce sur moi une véritable fascination vécue par l'esprit et le corps. Se mêlent une violence charnelle et une violence exercée sur la langue du texte, langue qui s'étire qui reprend qui va-et-vient en une rythmique sexuelle de martelage-pilonnage et de dépassement de l'acte par la "part putain" qui permet de ressentir un sens sans pour autant le saisir, le sens du vide et d'une tentative d'accès au plein par le vide. L'excès du désir et des actes suscite violence et plaisir, et la langue me semble se vouloir de même dans l'excès pour créer une excitation de l'esprit qui rebondit sur le corps et le rend tendu à percevoir la beauté/terreur de l'impossible, la beauté/jouissance du dépassement. Exercice de style ?  J'attends la lecture de la postface de l'auteur. Mais puis-je aussi y percevoir le désir primaire que la langue fouette et excite et active en le poussant dans ses retranchements et en exigeant de lui une tension permanente puisque le flux des mots est continu dans une certaine crudité amoureuse ? (question qui se glisse : mais qu'est-ce donc que l'amour ?)
Si j'en reviens à la présentation, le fait de remplacer la notion de "pure perte" de Georges Bataille par la "part putain" ne rend-elle pas le sujet actif et capable, au-delà de la prise de conscience déjà générée par la "pure perte", de ne pas se laisser dépasser par le corps/langue mais d'en devenir acteur ?
Et je relis "l'inconscience des limites du monde"... La conscience de l'inconscience, et voilà la force de vie tirée par la langue pour ne pas se laisser rattraper par la triste réalité du possible sans imagination de l'impossible vers lequel tendre ?
La part putain permettrait de dépasser la possession qui nous rattache à la vision de l'Autre, elle assurerait à mon sens la capacité et la volonté d'excentrage de la part commune que la société nous pousse à cultiver en nous et pour tous ; la part putain devient la part créative et pourtant consciente de l'incapacité à être avec le monde mais en prise avec, en tension jouissive que la langue ici s'emploie à maintenir afin de ne pas se laisser aller au monde...
Cependant, le risque de l'excès serait peut-être aussi d'être dépassé par ledit excès et de subir la part de violence abrutissante en nous. Explorer l'excès sans s'y complaire... Penser l'excès pour faire un peu d'or avec de la boue ? L'excès serait-il la voie risquée vers la sagesse folle ?

Extraits :

"ce qui me fait bander fait du vide en moi"
"ta fente est le vide qui fait du vide en moi"
"j'aime le vide que fait en moi le vide de ton con"
"tu es le vide qui écrase en moi toute la vie que va alentours de nous"
"le professeur sait que trembler donne leur prix aux choses"
"tu n'es pas seulement belle tu es la fureur de la beauté tu es l'abjection de la beauté tu es l'intouchable de la beauté"
"il regarde la puissance des mots épuiser la chair"
"ce qui le fait bander est la puissance abjecte du possible surgi dans l'impossible"
"le réel est muet le réel est flou le réel est mou le réel ne fait pas bander ce qui fait bander est le réel articulé nommé prononcé par la romance du roman"
"la peur carrosse un trou de réalité"
"la menace du monde glace le professeur le possible immine l'imminence menace le trait d'impossible tracé nu ouvert dans la nuit aveugle le possible fige le goût d'impossible"
"le professeur dit ce qui me fait bander c'est qu'il n'y ait pas de langue pour la pensée outrepassée par la tension sexuée pas de langue ombiliquée à la non-pensée"
"le truc de cuir enfoncé en moi me pompe la pensée qu'il n'y a que le trou ainsi voué à l'avidité à quoi je puisse penser que ma pensée est écrasée par l'envie d'être remplie"
"dis-moi pourquoi je jouis de peur et d'envie le professeur dit je ne sais pas tu sais que je ne sais pas tu sais que l'excès c'est que je ne sais pas tu sais que l'excès c'est que j'ai peur d'aimer en ça ce que je ne sais pas"
"l'excès c'est l'impensé qui me fait fait frapper et aimer frapper détester aimer frapper aimer détester frapper aimer te faire mal comme on fait du bien"
"comme si je buvais la jouissance à même l'avilissement comme si c'était gai de boire l'impossible parmi le possible comme si c'était bon de boire l'inconscience parmi les consciences"
"ce qui me fait bander c'est ce qui dans l'amour m'assure qu'en moi quelque chose n'est pas qu'en moi ce qui me fait bander c'est que quelque chose n'est pas dans le monde qu'en moi quelque chose n'appartient pas au monde ce qui me fait bander c'est ce qui m'excepte du monde me tire hors du monde ce qui me fait bander c'est l'inconscience des limites du monde"
"ce qui me fait bander c'est que cette perte cette fuite cet abandon cette éventualité affreuse soit l'emblème de l'impossibilité d'être entièrement au monde"
"ce qui me fait bander c'est qu'il y ait en elle que j'aime quelque chose qui me dépossède d'elle quelque chose qui fasse trou dans la possession"
"le professeur dit que maman est la figure du monde apathique l'inertie enclose la prise de la mort"
"le professeur dit quelque chose est au delà du sexe le professeur dit c'est comme une esquisse du drame de la vie comme une ombre estompée du tragique des vies et vivre n'est pas perfection étale immanence atone maternité imbecillité vie vécue sans vivre la vie par dehors le professeur dit le sexe n'est jamais que le lieu physique qui donne corps à ça le sexe est la scène de ce lamento forcément bouffon l'emblème de l'angoisse la langue de l'impasse le plancher en viande de l'action tragique et la part putain est la part en nous du métaphysique"
"ce qui se saisit dans la dessaisie de l'action du sexe c'est une macule d'âme un trou pas humain dans le lieu des corps peut-être surtout dans le lieu des pensées certainement dans le lieu des paroles rien ne s'y possède rien ne s'y fixe rien ne peut s'y penser en stabilité le professeur dit ce qui me fait bander c'est ce trou informe sans nom dans le pensées dans les paroles et dans les corps nommés"
"ce qui me fait bander c'est que par le trou fulgure un éclat dont l'onde me revient heureuse douloureuse comme vérité de vie violente"

jeudi 22 septembre 2011

L'érotisme par la décrépitude

"Tu oses, femme qui es une ruine centenaire, dont les dents sont noires, dont le front est labouré de rides, toi dont baîlle entre les fesses décharnées un trou plus répugnant que le cul d'une vache qui chie, tu oses me demander pourquoi mon sexe ne bande pas ? Parce qu'on voit chez toi des ouvrages stoïciens traîner sur des coussins en soie, crois-tu que mon sexe sache lire ? Crois-tu que les livres l'excitent ? Crois-tu que mon fascinus en soit moins paralysé ? Si tu veux qu'il se dresse bien haut sur mon aine dédaigneuse : suce !"

Horace, VIIIe épode (extrait de Le sexe et l'effroi de Pascal Quignard)

69

"Salut, grosse Putain, dont les larges gargouilles
Ont fait éjaculer trois générations,
Et dont la vieille main tripota plus de couilles
Qu’il n’est d’étoiles d’or aux constellations !
J’aime tes gros tétons, ton gros cul, ton gros ventre,
Ton nombril au milieu, noir et creux comme un antre
Où s’emmagasina la poussière des temps,
Ta peau moite et gonflée, et qu’on dirait une outre,
Que des troupeaux de vits injectèrent de foutre
Dont la viscosité suinte à travers tes flancs !
Ça, monte sur ton lit sans te laver la cuisse ;
Je ne redoute pas le flux de ta matrice ;
Nous allons, s’il te plaît, faire soixante-neuf !
J’ai besoin de sentir, ainsi qu’on hume un œuf,
Avec l’âcre saveur des anciennes urines,
Glisser en mon gosier les baves de ton con,
Tandis que ton anus, énorme et rubicond,
D’une vesse furtive égaye mes narines !
Je ne descendrai point aux profondeurs du puits ;
Mais je veux, étreignant ton ventre qui chantonne,
Boire ta jouissance à son double pertuis ;
Comme bois un ivrogne au vagin d’une tonne !
Les vins qui sont très vieux ont toujours plus de goût !
En ta bouche à chicots, pareille aux trous d’égout,
Prends mon braquemard dur et gros comme une poutre.
Promène ta gencive autour du gland nerveux !
Enfonce-moi deux doigts dans le cul si tu veux !
Surtout ne crache pas quand partira le foutre !"

Guy de Maupassant (extrait de Poèmes érotiques de la littérature en bandes dessinées, éd. petit à petit )


Fascinant comme dans l'un, l'injonction et surtout la vulgarité lancée abruptement, en contrebalancement du développé stylé de la phrase, par le mot "suce", balaie soudainement toute l'horreur que pourrait susciter la description précédente, reconcentrant l'homme sur son désir seul, et la nécessité de prendre plaisir et de jouir, amenant le lecteur soit à réagir par raison pure et à grimacer (selon des critères esthétiques communément admis mais non partagés par tous), soit à se focaliser seulement sur l'action primaire et bandante (au masculin comme au féminin) résumée en un seul mot, vulgaire et (donc) violent ; mais nous y revoilà, la violence... Source immanquablement nécessaire au développement du désir ? Le mot "suce" est ici violent ; il pourrait être, dans d'autres cas, dit avec amour...(à réfléchir)
Je n'y pu résister à l'envie de mettre ce texte en parallèle avec le poème de Maupassant, où la décrépitude et le dégoût sont sources de plaisir ouvertement acceptées.
Dans les deux cas, se retrouve la confrontation avec la mort proche, par le corps physiquement déchu. Dépassement de la mort ou acceptation ?



samedi 17 septembre 2011

"Le sexe et l'effroi" de Pascal Quignard, 2

"Les images-actions font que les hommes entrent dans la mémoire des hommes en se condensant en éthos (en devenant Dieu)."
- l'éthos étant l'élément "caractère" selon Aristote dans la tragédie grecque, encadré par les éléments "récit" (muthos) et "fin" (télos) -

J'avoue que cette phrase me fit immédiatement penser au principe de la pornographie filmée, l'image-action étant le principal biais de transmission, au point de sur-développer le marché du gonzo au détriment de tout scénario. Revient la fascination de l'acte, et du sexe masculin, comme dans les farces atellanes où "les hommes se déguisaient en bouc attachant sur le devant de leur ventre un fascinum (un godemiché, un olisbos)".
"L'indécence rituelle caractérise Rome : c'est le ludibrium."
Cependant, l'indécence de la pornographie n'est pas (plus ?) ritualisée - ni esthétisée pour une sorte d'ataraxie évoquée par l'auteur - mais se voue à la consommation à l'excès, négligemment regardée entre deux clics d'ordinateur. Le sexe peut certes être tout à fait banal, mais nous avons la capacité à le rendre excessivement jouissif et physiquement et intellectuellement, donnant un sens plus profond - à chacun le sien - de l'acte. Le banaliser dans ce type de consommation, si l'image-action est celle de la mémoire qui imprègne et fascine comme une déification, n'est-il pas faire croire à chacun que l'éthos est chose commune à tous ? Que nous sommes tous des dieux ? N'est-ce pas fausser le trajet de réflexion et de prise de conscience de l'Homme, trajet qui nécessite questionnement et construction constants, et non pas donné ? Ou bien que l'éthos devient le vulgaire, le servum pecus ? Et pourtant, il ne s'agit pas de réserver l'épanouissement sexuel à un certain nombre d'initiés, mais de le penser comme acte noble.
Quoique... Le plaisir peut se trouver aussi dans l'abject. Doit-on alors l'accepter et le contrôler, ou bien le rejeter et nier une part de nous-mêmes, sous prétexte de civilisation ? Cet abject en nous, pourquoi existe-t-il ? Qu'en faire ?
Au passage, je reviens sur mes propos du dernier post, où j'écrivais que l'esthétisme pouvait éventuellement se trouver dans le circuit soft de la pornographie. Or, après relecture, c'est exclure tout l'art de certaines pratiques, ne serait-ce que le bondage.

La pornographie immortalise l'acte sexuel et les sexes mais leur fait peut-être perdre tout leur sens, au-delà du ressenti physique. Elle devient objet de fascination - ceci n'excluant pas la possibilité de dégoût - et en même temps de banalisation qui intègre l'acte sexuel à notre vie comme une démarche incontournable et purement pratique, celui de satisfaire un désir immédiat. La pornographie ne peut-elle pas être plus qu'un objet de consommation ? Devient-elle alors érotisme ? Il me faudrait faire quelques recherches sur des films pornographiques avec une démarche de création et de pensée du réalisateur... Comme toujours, les commentaires ou pistes sur ce sujet seront les bienvenus...

lundi 12 septembre 2011

"Le sexe et l'effroi" de Pascal Quignard (éd.Gallimard, coll. Folio), 1

Résumé de 4ème de couverture : 
"Quand Auguste réorganisa le monde romain sous la forme de l'empire, l'érotisme joyeux, anthropomorphe et précis des Grecs se transforma en mélancolie effrayée.
Des visages de femmes remplis de peur, le regard latéral, fixent un angle mort.
Le mot phallus n'existe pas. Les Romains appelaient fascinus ce que les Grecs appelaient phallos. Dans le monde humain, comme dans le règne animal, fasciner contraint celui qui voit à ne plus détacher son regard. Il est immobilisé sur place, sans volonté, dans l'effroi.
Pourquoi, durant tant d'années, ai-je écrit ce livre ? Pour affronter ce mystère : c'est le plaisir qui est puritain.
La jouissance arrache la vision de ce que le désir n'avait fait que commencer de dévoiler."
(Pascal Quignard)
Ayant débuté la lecture dudit ouvrage, je ne peux que revenir sur le terme romain utilisé pour désigner le phallos grec : le fascinus. 
"Du sexe masculin dressé, c'est-à-dire du fascinus, dérive le mot de fascination, c'est-à-dire la pétrification qui s'empare des animaux et des hommes devant une angoisse insoutenable. Les fascia désignent le bandeau qui entourait les seins des femmes. Les fascies sont les faisceaux de soldats qui précédaient les Triomphes des imperator. De là découle également le mot fascisme, qui traduit cette esthétique de l'effroi et de la fascination."

Le christianisme s'étant emparé de nombreux pans de la culture romaine, notamment celui du puritanisme que bien des metteurs en scène occultent dans leurs films ou séries retraçant cette période de l'Histoire, il est tout autant fascinant de constater l'origine de notre regard sur le sexe masculin. Effroi, dégoût, fascination, la pornographie s'est merveilleusement emparée de la chose en érigeant le sexe masculin comme une entité quasi-indépendante de son possesseur, sorte d'alien jouisseur-destructeur aux proportions et endurance impressionnantes voire esthétisantes si l'on reste dans un circuit plutôt soft, loin de tout bondage et autre pratique sexuel visant une exploration différente du corps et des désirs. Le fascinus... Sommes-nous alors dans la peur-désir, et donc l'expression d'une certaine violence puisque nous allons au-devant soit de la frayeur, soit de la crainte, du moins, le regard s'aimante vers l'objet d'un désir qui semble tout concentrer ? Si nous sommes aujourd'hui familiers du terme phallus, derrière celui-ci s'exprimerait pleinement le fascinus. Ainsi, le développement de la pornographie pourrait caractériser cette tendance, alors que le phallus dans son expression grecque serait le symbole de l'érotisme joyeux, que notre société semble oublier pour une surenchère de corps justement érigés comme des symboles phalliques du désir sans personnalité ni prise en compte de l'être partenaire, qu'il soit question d'amour ou non, là n'est bien sûr pas la question. Ce terme de fascinus prouve-t-il notre dépendance pour une certaine violence, consciente ou non, dans la sexualité, et serait-elle originelle, ou bien sommes-nous simplement influencés et pouvons-nous, en en prenant conscience, évoluer vers une autre sexualité, celle du respect ?

dimanche 11 septembre 2011

La liste de titres préférés sera bien sûr, mais pas uniquement, l'objet de notes et de réflexions au cours de l'avancée dans ce blog puisque, ainsi écrit plus haut, le cheminement sera celui d'une pensée assujettie à l'aléatoire des rencontres littéraires et autres, des réflexions et des envies du jour, et certainement de l'humeur du moment, même si demeure à l'origine de ce journal virtuel une volonté de travail sur soi par une exigence de réflexion qui me semble nécessaire dans chaque aspect de l'existence, afin de ne pas subir le monde, mais de le penser et d'éviter la sensure - néologisme pertinent créé par Bernard Noël. Bien sûr, ce blog aura ses faiblesses, faiblesses de pensées et de propos, voire, qui sait ?, de divagations ;  mais le but étant de s'enrichir, de rester vigilante et ouverte à la réflexion, cependant tout en modestie des éléments et critiques partagés ici, les commentaires seront les bienvenus...