jeudi 22 septembre 2011

L'érotisme par la décrépitude

"Tu oses, femme qui es une ruine centenaire, dont les dents sont noires, dont le front est labouré de rides, toi dont baîlle entre les fesses décharnées un trou plus répugnant que le cul d'une vache qui chie, tu oses me demander pourquoi mon sexe ne bande pas ? Parce qu'on voit chez toi des ouvrages stoïciens traîner sur des coussins en soie, crois-tu que mon sexe sache lire ? Crois-tu que les livres l'excitent ? Crois-tu que mon fascinus en soit moins paralysé ? Si tu veux qu'il se dresse bien haut sur mon aine dédaigneuse : suce !"

Horace, VIIIe épode (extrait de Le sexe et l'effroi de Pascal Quignard)

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"Salut, grosse Putain, dont les larges gargouilles
Ont fait éjaculer trois générations,
Et dont la vieille main tripota plus de couilles
Qu’il n’est d’étoiles d’or aux constellations !
J’aime tes gros tétons, ton gros cul, ton gros ventre,
Ton nombril au milieu, noir et creux comme un antre
Où s’emmagasina la poussière des temps,
Ta peau moite et gonflée, et qu’on dirait une outre,
Que des troupeaux de vits injectèrent de foutre
Dont la viscosité suinte à travers tes flancs !
Ça, monte sur ton lit sans te laver la cuisse ;
Je ne redoute pas le flux de ta matrice ;
Nous allons, s’il te plaît, faire soixante-neuf !
J’ai besoin de sentir, ainsi qu’on hume un œuf,
Avec l’âcre saveur des anciennes urines,
Glisser en mon gosier les baves de ton con,
Tandis que ton anus, énorme et rubicond,
D’une vesse furtive égaye mes narines !
Je ne descendrai point aux profondeurs du puits ;
Mais je veux, étreignant ton ventre qui chantonne,
Boire ta jouissance à son double pertuis ;
Comme bois un ivrogne au vagin d’une tonne !
Les vins qui sont très vieux ont toujours plus de goût !
En ta bouche à chicots, pareille aux trous d’égout,
Prends mon braquemard dur et gros comme une poutre.
Promène ta gencive autour du gland nerveux !
Enfonce-moi deux doigts dans le cul si tu veux !
Surtout ne crache pas quand partira le foutre !"

Guy de Maupassant (extrait de Poèmes érotiques de la littérature en bandes dessinées, éd. petit à petit )


Fascinant comme dans l'un, l'injonction et surtout la vulgarité lancée abruptement, en contrebalancement du développé stylé de la phrase, par le mot "suce", balaie soudainement toute l'horreur que pourrait susciter la description précédente, reconcentrant l'homme sur son désir seul, et la nécessité de prendre plaisir et de jouir, amenant le lecteur soit à réagir par raison pure et à grimacer (selon des critères esthétiques communément admis mais non partagés par tous), soit à se focaliser seulement sur l'action primaire et bandante (au masculin comme au féminin) résumée en un seul mot, vulgaire et (donc) violent ; mais nous y revoilà, la violence... Source immanquablement nécessaire au développement du désir ? Le mot "suce" est ici violent ; il pourrait être, dans d'autres cas, dit avec amour...(à réfléchir)
Je n'y pu résister à l'envie de mettre ce texte en parallèle avec le poème de Maupassant, où la décrépitude et le dégoût sont sources de plaisir ouvertement acceptées.
Dans les deux cas, se retrouve la confrontation avec la mort proche, par le corps physiquement déchu. Dépassement de la mort ou acceptation ?



2 commentaires:

  1. Ces deux textes provoquent comme un coup de poing littéraire dans l'estomac et chacun constitue à sa manière une louange à l'érotisme des corps féminins vieillis et décharnés. A l'heure où Internet permet l'exhibition facile, où une femme de cinquante ans peut susciter autant de désir qu'une femme de vingt ans, ces textes nous rappellent avec violence que l'âge n'est pas un obstacle pour continuer à vivre sa sexualité et que les hommes qui à la quarantaine courent derrière la jeunesse s'évertuent avec quel ridicule de fuir leur propre mort !

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  2. Je partage votre avis sur la vision uniforme transmise par les médias, tendant à ressembler les corps de tout âge pour les exposer à travers le filtre de la jeunesse : garder un corps jeune comme source de vie. Hommes, comme femmes, courent après la jeunesse. Il est vertigineux de voir apparaître les signes annonciateurs d'un corps en décrépitude, qui nous rapprochent de la mort. Il me semble qu'on ne peut reprocher cette peur, cette terreur, même. Ce qui est dommage, c'est en effet de nier la conquête continue de son propre corps, d'être dans son acceptation et de l'épanouir, au lieu de le fuir.
    De plus, se contenter de la jeunesse évince différentes autres formes de plaisir.
    Je ne sais si je verrai ces textes comme des louanges à l'érotisme des corps féminins vieillissants. J'hésite, car j'y vois surtout le goût d'une décadence recherchée, le goût de se vautrer dans la mort, de l'empoigner et la baiser sauvagement en la regardant en face, de ne pas nier ce déclin quasi-putride mais non plus de ne pas en faire l'éloge. La violence de l'avancée de mort me semble être véhiculée par la violence du regard conscient et fasciné. Ce léger basculement, pourtant conséquent, qui permet de passer du dégoût à l'excitation, les deux pouvant être liés. Est-ce dû à la violence des émotions qu'ils génèrent tous deux, qui trouvent la même source intérieure ?

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