lundi 19 décembre 2011

"L'Os de Dionysos" de Christian Laborde, éd. Le Livre de Poche

4ème de couverture : "Le 12 mars 1987, L'Os de Dionysos a été interdit pour " trouble illicite, incitation au désordre et à la moquerie, pornographie et danger pour la jeunesse en pleine formation physique et morale " par le Tribunal de Grande Instance de Tarbes.
En mettant en scène, dans un récit éritico-satirique virulent et provocateur, le conformisme et la mesquinerie d'un établissement scolaire privé, Christian Laborde a obtenu un succès de scandale qui ne doit pas faire oublier la somptuosité verbale d'un jeune écrivain émule des surréalistes, salué par Claude Nougaro aussi bien qu'André Pieyre de Mandargues"

Un livre à classer comme bon nombre d'autres titres pseudo-érotique dans la catégorie "Soupir". A cette première interdiction, responsable supposée du succès du livre, s'ajouta l'arrêt du 30 avril 1987 de la cour d'appel de Pau pour "blasphème, lubricité, provocation, paganisme, […] et contenu incompatible avec le projet éducatif d'une école vouée au rayonnement de la parole du Christ"(source : Wikipédia).
Le début prête sincèrement à sourire, tant le détournement de ce passage de Marcel Proust dans son roman "Du côté du chez Swann" fut usité : "Longtemps je me suis branlé de bonne heure". Ainsi le début se construit-il sur la tentative d'écriture de Christophe, enseignant de français dans un lycée privé, en quête de reconnaissance littéraire, de retour à la terre et d'harmonie avec la nature. Tendance profonde du personnage qui donne prétexte à développer un lexique lyrique éculé : "ivresse", "j'abandonnais à la terre ma propre liqueur", "petit matin", "buissons plus épais", "l'oeil du coucou". Pour appuyer cette ivresse des sens que seule la terre semble pouvoir offrir en tant que (ré-)génératrice, apparaît quelques paragraphes plus loin, alors que nous retournons dans le quotidien de cet enseignant, ce qui put être, sorti du contexte, un de ces mauvais haïkus que certains ateliers d'écriture tentent vainement de faire écrire aux participants sous prétexte d'accessibilité (quoi de plus dur cependant que le haïku par sa forme précise, fine et réduite à une sorte de pureté esthétique, même dans l'ignoble, esthétisme du Japon traditionnel en quête de sobriété presque extrême ?) :"La pièce est bien éclairée. Le plancher en chêne brillait. Dehors, l'automne et les Pyrénées". Le ton est annoncé mais sera caché par l'excitation de la langue déchaînée, celui de la platitude.
L'évocation des anciens sabbats sur la lande du bouc permet de renforcer cet aspect et l'envie du personnage de secouer une population régionale devenue frileuse et molle dans ses revendications, une mollesse qui ne cache pas son goût pour des tendances extrémistes en matière de politique. C'est cette énergie revendicatrice d'un pseudo-anarchique qui agite tout le roman, une sorte de révolte qui l'excite, jusqu'à sa sexualité sur laquelle il semble revenir avec ce goût de la provocation par l'étalage, censé choquer le bourgeois qui sommeillerait en chacun. Il ne suffit pas d'employer le mot "bite" deux trois fois, "raie," "cul", "fente", "gland", "grosses couilles", dans une tentative de débauche verbale pour pouvoir classer un livre comme érotique. Cela pose la question de la langue : un livre érotique ne l'est-il pas parce que la langue écrite l'est de même ? Dans le cas de la pornographie aussi, vulgarité y comprise ? Ainsi se trouve le décalage de la censure et du caractère érotique véhiculé avec la présentation de ce livre, alors qu'il ne s'agit que de quelques évocations d'une sexualité qui ne paraît être au final qu'une forme de loisir chez ce personnage, loisir qu'il tenterait de sacraliser par l'image de sa compagne, Laure, représentant une forme de pureté car idéalisée (mystère, corps parfait qui ne peut être souligné que par des sous-vêtements d'une blancheur obligatoire pour exprimer une "vraie" féminité, élégance des gestes, discrétion au point qu'elle n'a aucune consistance si ce n'est celle de symboliser le fantasme de la perfection cadrée, contraire au mouvement anarchique que semble rechercher le personnage). Ainsi s'oppose les clichés entre lesquels le personnage Christophe oscille, en quête d'un idéal de liberté et de recherche de sens détruit par un conformisme éducatif - mais pas seulement. Bel anarchique, qui finit par se marier... Chercher l'erreur. Mais le lecteur est noyé dans l'avalanche de mots et de phrases courtes, incisives, sous un air faussement décontracté : je suis cool et rebelle. La tournure veut le sens du choc, du heurt dressé régulièrement et renforcé par l'abus volontaire, puis-je supposer, du point d'exclamation. Mais l'ouvrage reste très terre-à-terre : le fait de dénoncer en tous sens les travers d'un système éducatif et de rêver bouleversement par le fond ne suffit pas à créer de la réflexion. Aucune profondeur ne transparaît, mais beaucoup de vent est brassé. La langue s'agite en tout sens, mais sur quoi se pose-t-elle ? Quelles interrogations suscitent-elles ? Quel sens critique au-delà de la simple flatterie du plaisir mesquin de critiquer sans aspect constructif ?
L'ouvrage veut recréer du sens et ne va pas au-delà de l'utopie, ne la dépasse pas en la pensant dans sa représentation et son écho dans l'intime : il cherche une idée mais ne se pense pas d'abord. 
Au final, il malmène - à juste titre - l'éducation nationale de l'époque au point d'en devenir caricatural par extrémisme opposé. A mon sens, le seul fait d'avoir touché à ce système explique la cause de la censure, afin de faire taire une voix qui dérangeait en soulignant grossièrement les travers, et ce d'autant plus qu'il s'agissait d'aborder la chose par le point de vue d'un professeur. 
En parlant de professeur, mieux vaut lire, en matière d'érotisme et d'interrogation sur le rapport au monde, ce vers quoi l'être tend en bandant, ce que le désir interroge et amène la langue à tenter de cerner le trou de l'être (prenez-le dans tous les sens du terme), le titre éponyme de Christian Prigent...

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