lundi 6 février 2012

"Il n'y a pas de rapport sexuel" de Raphaël Siboni

Résumé : "Un portrait de HPG, acteur, réalisateur et producteur de films pornographiques, entièrement conçu à partir des milliers d’heures de making-of enregistrées lors de ses tournages. Plus qu’une simple archive sur les coulisses du X, ce film documentaire s’interroge sur la pornographie et la passion pour le réel qui la caractérise."

L'intérêt unique de ce documentaire est d'accéder aux ficelles utilisées pour réaliser des séquences pornographiques : les mains frappées pour imiter le bruit des peaux claquées lors de la pénétration, le pouce dans la bouche pour laisser imaginer la fellation en cours, l'utilisation du dentifrice et de la bave pour donner l'apparence du sperme déversé, la simulation de la pénétration lorsque le plan n'oblige pas l'acte... Le tournage est montré dans ses aspects techniques, avec les trucs et astuces utilisés pour pallier aux contraintes physiques, favorisant le côté pratique. La violence et la notion de plaisir/jouissance associées au monde du porno est démontée par ce biais, ce qui permet de désacraliser, si je puis dire, le vécu pornographique. Cependant, y transparaît pour moi un autre type de violence, et là est la déception pour ce montage de making-of. Il s'agit de la violence quotidienne dans la considération apportée aux autres par HPG, qui oscille entre bouffon et cynique, doté d'une certaine autorité (un critique sur Allociné en parlait comme le Jean-Claude Van Damme du porno, et l'allusion humoristique ne manque de pertinence... La différence est que HPG n'est pas naïf dans son rapport aux autres). L'ensemble devient très vite triste et grotesque. Les acteurs sont souvent délaissés, oubliés voire déconsidérés dans la fatigue, la lassitude ou l'ennui qu'ils peuvent rencontrer lors d'un tournage. Rares sont d'ailleurs les actrices à qui il accorde un regard, sauf en situation de tournage amateur, et encore moins ouvre-t-il le dialogue, n'échangeant qu'avec les hommes présents sur les lieux.
Tout est bâclé, pensé à la va-vite (une scène particulière où il tente d'inventer sur place, en plein tournage, un scénario inexistant, embrouillant les acteurs dans leur rôle et leur texte), et les acteurs et actrices ne sont que des moyens de parvenir à une scène potable. HPG les manipule pour les amener au mieux au plan qu'il souhaite tourner, ce qui suscite d'ailleurs une remarque d'une des actrices, non dupe de ses tentatives pour amadouer. Le rendement paraît être le maître mot... Il ne cache d'ailleurs pas son mépris pour ceux qui regardent le cinéma porno lors d'une ou deux remarques sur la qualité de ce qu'il tente de filmer.
Voilà qui est donc fort dommage : rien n'est pensé en amont, comme s'il y avait toujours urgence à utiliser les moyens sur place pour essayer de créer quelques scènes balancées parfois ensuite sur internet. Quelle réflexion par rapport au porno ? Sachant que HPG tend à être considéré comme un avant-gardiste dans ce milieu, qu'il est notamment un des pionniers du gonzo ainsi qu'un acteur au parcours varié et provocateur par rapport aux pratiques et monde journaliste... La seule volonté qui transparaît est celle de bousculer gratuitement le spectateur, oscillant entre le comique et la crudité non-dépassée. Or, à mon sens, la crudité n'est pas obligatoirement déprimante si l'être témoigne d'un respect ou du moins d'une considération de la situation, cherchant non pas à s'y engluer, mais à l'accepter pour la dépasser en prenant en compte les personnes impliquées. Où est la politesse, la prise en compte du déplaisir pour tenter de rendre la situation plus gérable, le regard qui montrerait la considération de l'autre dans ses désirs et ses craintes, comme pour les tournages amateurs ? Seul l'acteur Michael Cherrito  prend en compte les actrices et acteurs avec lesquels il joue (lorsque la jeune fille amatrice éclate en sanglots et qu'il dédramatise la situation), critique ou montre le peu de considération qu'il a pour tel ou tel type de scène.
Un accès aux pensées et réflexions des acteurs hors tournage manque cruellement pour offrir différents points de vue, car le fait de ne privilégier que le making-of de HPG offre une image très, très limitée de cet univers de l'excès.
Ce réalisateur entretient de plus un flou dans les limites entre tournage et vie privée. Il déshumanise les acteurs, et tout particulièrement les actrices, ce qui ne fait que conforter l'idée (clichée?) de la vulgarité permanente et ostentatoire, ainsi que celle de l'utilisation abusive de la femme dans ce milieu, sans limite de frontière par rapport à la réalité. La chose n'est pas affirmée telle quelle, mais chaque geste, chaque parole en témoigne plus ou moins consciemment.

Des ouvrages comme "La voie humide" de Coralie Trinh Thi, ou bien des entretiens avec Ovidie, heureusement, redonnent parole à la gent féminine et à l'investissement réfléchi qu'il peut y avoir en tant qu'actrice. Car la violence jouée ne me semble pas incompatible avec la notion de respect, puisque la caméra et le scénario sont là pour servir de cadre d'expression, permettant le passage de la réalité à la fiction. Ce documentaire montre ce que la vulgarité d'un homme dans son rapport à autrui peut brouiller ces frontières psychologiquement fines.

De ce fait, peut-on tout entreprendre en matière de sexualité si le respect est présent ? Ou bien le jeu de la violence consentie abolit-il toute possibilité de respect et stimule-t-il chez l'individu un penchant à l'asservissement ? Mais l'asservissement est-il automatiquement dégradant, s'il est conscient, avec des limites possibles (le fameux "Stop" dans les rapports sadomasochistes) ?




2 commentaires:

  1. Vous semblez surprise du traitement infligé aux femmes de la part de HPG dans le film dont vous faites la critique, Entrebrumes, mais l'univers du porno n'est-il pas un univers impitoyablement phallocrate ? Où on retrouve la femme symboliquement et sexuellement dominée par l'homme, en tant qu'elle est, sous prétexte de fiction, son objet, son esclave ? Et en réalité, le reflet cru de la réalité quotidienne ?

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  2. Surprise, non, nullement, mais déçue qu'un documentaire se contente de cette seule approche, cautionnant un univers d'apparence réductrice en n'offrant même pas la parole aux acteurs. Cette tendance que vous soulevez me semble pertinente, mais soutiendrait l'idée que la femme ne peut avoir plaisir d'une telle situation et la revendiquer par une liberté de choix (le rapport SM est un choix et peut être interrompu). Non que cela soit courant, au contraire, car trop souvent l'être humain fonçe dans les préjugés et clichés afin de construire une façon d'être et de vivre, mais il me semble que l'être peut s'élever au-dessus de cela par une prise de conscience, et que la pornographie, dans ce qu'elle pourrait avoir de destructeur, peut être pensée dans l'acceptation de sa bestialité, de sa décadence afin de ne plus subir la honte d'une sexualité débridée, mais lui offrir un cadre d'expression, sondant au fond de nous pour mieux nous connaître. Ce que je vois en pornographie ne tend pas à élever le niveau, mais c'est le concept qui m'intéresse dans ce qu'il interpelle au fond de nous et ce que nous pouvons y prendre.

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